Quatrième de couverture
Premier janvier 2095. Les Puissances - ces grands empires industriels qui règnent sur l'économie mondiale - rassemblent leurs forces. Demain, à New-York, le Sénat des Nations Unies ouvre ses portes... Une conspiration est en marche, si vaste qu'elle pourrait bien faire basculer le destin de l'humanité.
De l'autre côté de l'Atlantique, un groupe de scientifiques, d'intellectuels, de diplomates et d'espions prépare la riposte. Ils n'ont pas de nom, pas d'argent, pas de statut... Mais leur détermination est dignes des utopistes de la Renaissance.
A quatre mille kilomètres de là, en plein coeur du Sahara, le jeune Chan Corey se penche sur son passé, et cherche à comprendre. Qui est-il réellement ? Pourquoi son père, qui fut un historien réputé, a-t-il été contraint de fuir l'Europe pour s'enfoncer dans le Veld - cette zone de non-droit qui s'étend peu à peu à la Terre entière ? La réponse à toutes ces questions se trouve au sommet d'Aéropolis, la ville-tour perdue dans les nuages. Mais pour l'atteindre, Chan devra échapper aux mystérieux B-men et, peut-être, vendre la seule chose qui lui reste : son âme.
De Serge Lehman, je n'avais lu jusqu'à présent qu'une (excellente) novella intitulée Nulle part à Liverion. Hors, il se trouve justement que ce texte préfigurait en quelque sorte le projet autrement plus vaste développé dans F.A.U.S.T. On y trouvait non seulement le contexte ultra-libéral d'une société future gouvernée par l'Instance (ensemble de multinationales toutes puissantes) mais aussi le personnage de Paul Coray (le père de Chan) qui travaillait pour elle. Curieuse coïncidence sous forme de "mise en appétit" non préméditée.
Et me voilà donc, près de dix ans plus tard, en train d'entamer le premier jalon de ce qui se révèle être une véritable histoire du futur aux allures de roman-feuilleton située dans un XXIiè siècle finissant. Un projet forcément ambitieux dont, disons-le d'emblée, l'intérêt et le plaisir que l'on y prend vient du choix de l'auteur d'inscrire sa saga géopolitique touffue et complexe qui extrapole sur tous les maux issus de la mondialisation dans une trame narrative nerveuse inspirée du roman populaire, à qui il emprunte certains thèmes (la vengeance, par exemple) en privilégiant action, rebondissements et complots, ce qui en fait aussi un roman mêlant l'aventure et l'espionnage.
D'un côté, Lehman dessine avec minutie le paysage socio-économique d'une fin de siècle assez plausible, hélas, si la société actuelle continue sur sa lancée (et je trouve même l'auteur encore optimiste de situer sa prospective dans un siècle car il se peut que cinq décennies y suffiraient déjà) : le pouvoir politique capitulant face à la main-mise des entreprises, la suppression des états-nations en faveur de structures plus vastes, une planète coupée en deux (les privilégiés du Village et les laissés-pour-compte du Veld), la prédominance d'une langue sur les autres (l'anglais, of course) et d'une culture mondialisée se répandant sur les réseaux informatiques. Bref, rien de nouveau et que nous ne sachions déjà mais Lehman, se limitant à une spéculation à court terme, cherche justement moins à faire preuve d'exotisme que de bâtir une dystopie qui n'est plus politique (aux oubliettes, les dictatures du XXè siècle fondées sur des idéologies !) mais économique.
Par ailleurs, le contexte décrit (et bien que ce ne soit encore que le premier volume) occupe déjà une place tellement importante qu'on ne peut plus parler, à ce stade, d'une simple toile de fond servant de prétexte science-fictif à l'intrigue tournant essentiellement autour de Chan Coray. Il est évident que l'auteur a tenu à proposer une description/réflexion élaborée sur les dérives de notre époque et l'adjonction d'un glossaire en fin de volume témoigne de l'ampleur de l'entreprise tout comme elle permet de renforcer l'effet de réel de la société décrite.
Mais, comme je l'ai déjà suggéré, F.A.U.S.T. (qui est publié, ne l'oublions pas, chez Fleuve Noir) n'en est pas pour autant une speculative-fiction intellectuelle et politisée à outrance dans le genre de celles que pouvait écrire jadis un Thomas Disch. Lehman a semble t-il tiré la leçon d'une certaine science-fiction polémiste des années 70 qui, à force de spéculations et "d'esprit de sérieux" en venait à oublier une des motivations premières du lecteur, même le plus enclin aux contorsions mentales : tout simplement le plaisir de lire.
L'auteur de SF se doit aussi d'être un conteur et Serge Lehman, ne craignant pas de puiser dans cette (bonne) littérature populaire "(post)dumasienne", donne au lecteur l'occasion de s'émouvoir, de trépigner, de s'attacher aux personnages, tout en gardant constamment à l'esprit son analyse des mécanismes ultra-libéraux dans leurs ultimes conséquences et les enjeux socio-économiques dans lesquelles ses protagonistes se débattent.
Et même si on peut émettre quelques réserves, après coup, sur certains aspects politiques du roman qui, pour les besoins de la démonstration, ne s'encombre pas toujours de nuances, on pardonne bien volontiers à l'auteur certaines exagérations ou un peu de manichéisme. Il faut d'ailleurs avouer que ces détails comptent peu une fois entré dans la dynamique du récit.
En alliant l'intelligence du propos spéculatif et une narration pleine de vivacité et d'inventivité, ce premier tome de F.A.U.S.T. augure une série que je suivrai avec plaisir et qui devrait intéresser, si ce n'est déjà fait (car j'entame cette série bien tardivement), aussi bien les amateurs d'une SF divertissante que ceux qui attendent du genre matière à réflexion.
Encore ne puis-je pour l'instant que limiter ma chronique à ce premier volume qui n'est encore, vu l'ambition du projet, qu'une mise en place de la partie d'échecs en train de se jouer.
Nul doute que la lecture des tomes suivants devrait offrir des perspectives plus intéressantes encore.
