Le Manuscrit trouvé à Saragosse

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Le Manuscrit trouvé à Saragosse

Messagepar Cryptide » Jeudi 26 Juin 2008, 12h17

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Le Manuscrit trouvé à Saragosse
de Wojciech Has (1965)

Je n'avais pas encore eu l'occasion de découvrir ce classique (ce chef-d'oeuvre !), non seulement du fantastique mais du cinéma en général. Une lacune dont je viens de mesurer toute l'étendue cette semaine.

Le film du cinéaste polonais Wojciech Has, sorti en 1965, est l'adaptation de l'énorme roman à tiroirs de son compatriote Jan Potocki, Le Manuscrit trouvé à Saragosse datant de 1797 (pour la première version du moins).
Cet chef-d'oeuvre de la littérature du XVIIIè siècle - écrit directement en français - mélange allègrement tous les genres connus à l'époque : aventure picaresque, fantastique, gothisme, contes philosophiques, libertinage, vaudeville, histoires de brigand, et bien d'autres. En tout, plus de cent histoires différentes qui s'entremêlent autour d'un fil conducteur : les errances d'un jeune capitaine au service du Roi d'Espagne dans l'étrange contrée montagneuse de la Sierra Morena.
Le foisonnement du roman permet de le comparer aux Milles et Une Nuits ou au Décameron de Boccace, dont il partage l'envergure et le souci de raconter une multitude d'histoires édifiantes.
Bref, un monument de la littérature. Mais venons-en au film de Has, puisque nous sommes dans la rubrique cinéma.

Le film représentait déjà une tâche dantesque comme on peut s'en rendre compte après cette (petite) présentation du roman de Potocki, qu'on l'ai lu ou non. D'un matériau à la fois consistant (voir indigeste) et à la structure complexe où il était facile de se perdre, Has a apparement su trouver le meilleur chemin pour garder l'essentiel de l'oeuvre écrite, ramenant ainsi son film à une durée raisonnable de trois heures. Il n'en fallait pas moins pour raconter les aventures d'Alphonse Von Worden aux prises avec tant de féeries et de maléfices.
L'histoire se présente en fait comme un récit initiatique où, perdu entre rêve et réalité (de fait, le spectateur comme le héros ne sait jamais très bien où s'arrête l'un et où commence l'autre), Von Worden devra subir une série d'épeuves mais aussi tirer profit des enseignements que recèlent les récits, enchâssés comme des poupées russes, que lui racontent les divers personnages qu'il croise tout au long d'un périple qui n'est pas tant géographique - le jeune homme semble tourner en rond durant tout le film - que mental, fantasmagorique.

La fascination du film de Has tient autant de sa structure labyrinthique que de ses images à la beauté vénéneuse où nous passons, au détour d'un couloir, de l'intérieur rustique et rudimentaire d'une vieille auberge abandonnée à celui de la chambre d'un palais mauresque où attendent de lascives princesses, pour ensuite nous envoyer au pied d'un sinistre gibet où gigotent deux pendus. Et ainsi de suite...
C'est que Le Manuscrit trouvé à Saragosse se joue de l'espace comme de la temporalité, avec l'effronterie propre aux rêves, superbement indifférent à devoir rendre des comptes à une réalité/rationnalité dont il n'a que faire.
Pour autant - car ce film décidémment bien insolent cultive aussi le paradoxe - il ne faudrait pas y voir un fatras de visions sans queue ni tête destiné à épater l'amateur de grossiers artifices. Comme je l'ai déjà dit, tout ce tourbillon d'images et d'histoires oniriques ou plus triviales (il n'y a pas ici de contradiction entre les deux) est la substance d'un cheminement qui, s'il emprunte des voies détournées, n'en reste pas moins riche de sens et même d'une (certaine) logique.
De ce point de vue, Le Manuscrit trouvé à Saragosse serait très proche de l'ésotérisme (on y trouve d'ailleurs un personnage de cabaliste), s'il n'avait aussi à coeur d'ironiser sur cette discipline trop pompeuse et de lui apprendre l'humilité en la faisant voisiner avec le vaudeville, voir la farce (voir à ce sujet les récits de toute la seconde partie).

Quand un film conjugue tant d'intelligence, d'humour, d'émerveillement, de lucidité, de verve stylistique, que dire d'autre sinon qu'il s'agit d'une oeuvre-somme mais réalisée pourtant avec une telle absence de prétention, une légèreté de bon aloi, qu'elle ne peut que susciter la sympathie autant que l'admiration.

:arrow: J'ajouterai que l'histoire du film de Has - tout comme celle du manuscrit de Potocki - (une version tronquée de 152 minutes à l'époque de sa sortie, puis de 120 minutes rebaptisée Adventures of the Nobleman dont on peut imaginer le triste résultat issu d'un tel charcutage, avant qu'un certain Martin Scorcese - grand admirateur du film - ne parviennent à en restituer la version intégrale présentée dans le DVD) a des allures de saga. Mais c'est une autre histoire (une de plus !)
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