L'incroyable destin de Harold Crick (Stranger than fiction)
de Marc Forster (2007).
Distribution : Will Ferell, Maggie Gillenhaal, Emma Thompson, Dustin Hoffman, ...
Durée : 1h45
Ce petit bijou d'inventivité et d'humour est passé relativement inaperçu lors de sa sortie en salle, coincé probablement comme toujours entre deux blockbusters formatés et quelques comédies insipides ou potaches qui sont l'ordinaire du cinéphage.
Il est vrai que
L'incroyable destin de Harold Crick est un de ces films que l'on attend pas et sur lequel on pouvait manifester une méfiance légitime, notamment à cause d'un acteur principal (Will Ferrell) abonné au comique balourd et qui s'était montré un insupportable cabotin dans la désastreuse (n'ayant pas peur du mot) adaptation de
Ma sorcière bien-aimée. Heureusement, Will Ferrell se révèle ici un exemple de sobriété dans le rôle pourtant ingrat de prime abord d'un fonctionnaire à la vie réglée comme une horloge et qui a tout du pantin inconsistant. C'est une des réussites du scénario de ce film que de voir, peu à peu, la marionnette couper les fils qui l'entrave et se décider à prendre en main un destin effectivement incroyable. Il faut dire que notre homme a un excellente raison de réagir : la révélation impromptue de sa mort imminente par sa propre créatrice, et qui agit évidemment comme une formidable décharge électrique qui ranimera un esprit mais aussi (et surtout) un coeur jusque là en état d'hibernation.
Au départ d'une idée aussi originale qu'hilarante, le scénario évite cependant de verser dans le délire schizophrénique qu'aurait pu nous donner un duo comme Spinke Jonze/Charlie Kaufmann par exemple (
Dans la peau de John Malkovitch) et auquel on aurait pu s'attendre au vu du sujet. Ce qui aurait été éventuellement une manière de faire, en empillant les scènes loufoques, les morceaux d'anthologie quasi cartoonesque, les mises en abîme vertigineuses. Toutefois, la direction prise ici est nettement plus sobre et, finalement, gagne en émotion et en humanité ce qu'elle pouvait perdre en génial cacophonie d'images peut-être un peu surfaite.
Nous n'aurons donc pas droit à un tour de force de mise en scène qui en met plein la vue mais, malgré son postulat en apparence loufoque, une comédie aigre-douce, tout en retenue, qui emprunte autant à la tranche de vie, à la comédie romantique hollywoodienne de qualité - la relation sentimentale cocasse entre Harold et Ana (épatante Maggie Gyllenhaal en vendeuse de cookies en rebellion contre le fisc) qu'au drame d'un homme qui constate que sa vie ne lui appartient plus et, en réalité, ne lui a jamais appartenue. Mais aussi, paradoxalement, à sa rennaissance, son épanouissement, bien décidé malgré tout à profiter pleinement de chaque moment qui lui reste. Pour aboutir par une réflexion pleine de sensibilité sur la création littéraire et cette question : la vie d'un individu peut-elle être sacrifiée à l'art ? La créature doit-elle accepter de disparaître pour donner à l'oeuvre de son créateur (ou plutôt sa créatrice dans ce cas présent) ce petit plus qui distingue le chef-d'oeuvre d'un roman "simplement" correct ? Et l'auteure est-elle prête à en assumer la responsabilité lorsqu'elle se retrouve face à sa créature bien vivante ?
Autant de questions fascinantes, traitées avec beaucoup de délicatesse dans la dernière partie du film qui choisi finalement de donner une réponse qui est à l'image du film tout entier : humaniste.
Mentionnons encore deux grands acteurs dans des rôles secondaires honorables : Dustin Hoffman et Emma Thomson. Le premier, surtout, dans le rôle pour le moins décalé d'un professeur de littérature auquel le pauvre Harold est venu demander conseil. La seconde dans celui de l'écrivaine un brin névrosée qui a la fâcheuse habitude de tuer les personnages principaux de chacun de ses romans au nom d'une conception plutôt morbide de l'art mais aussi, sans doute, comme un écho à son propre mal-être. Perchée sur un toit, surplombant la ville qui sert de décor à sa création, ou penchée sur sa machine à écrire, elle est la figure du démiurge omniscient et omnipotent qui fait et défait l'existence d'êtres de papier plus vivants qu'elle ne le pense. Mais aussi la femme vulnérable, recroquevillée elle-même dans un mode d'existence au moins aussi terne que celui de sa créature.
Comédie fantastique, fable philosophique, mise en abîme,
L'incroyable destin d'Harold Crick est une oeuvre attachante et aussi divertissante que profonde, vibrante comme un plaidoyer, à qui l'on pourrait juste reprocher parfois quelques passages à vide et une réalisation un peu molassonne qui l'empêche d'accéder au statut de chef-d'oeuvre et de figurer aux côtés d'un film comme
Un jour sans fin d'Harold Ramis, autre réussite du genre.
Pour autant, les comédies fantastiques qui allient intelligence et sensibilité sont suffisament rares pour que l'on apprécie celle-ci à sa juste valeur.