«
La question de la race était devenue pour lui une réalité. Pourquoi une seule goutte de sang africain faisait-elle de vous un Noir alors qu’une seule goutte de sang européen ne faisait pas de vous un Blanc ? » (les Péchés de nos pères, p 351).
Impossible, en lisant ce roman de Lewis Shiner de ne pas faire le lien avec le grand roman de Stephen Carter :
la dame noire. Dans ces deux romans américains en effet, c’est le problème racial qui est au centre de leur réflexion comme de l’intrigue. Dans les deux cas il est présent d’une façon obsessionnelle dans tous les détails de la vie quotidienne des narrateurs. Dans les deux romans, le passé, et plus précisément un passé vieux d’une trentaine d’années qui renvoie à la jeunesse des parents, interfère sur le présent. Et dans ces deux romans le regard incisif posé par les deux auteurs sur les espoirs, les craintes et les rancœurs accumulées dans la communauté noire nous en apprend davantage sur l’Amérique de Lyndon Johnson à George Bush que de longs traités de sociologie.
Mais alors que dans le roman de Carter la plupart des personnages, qu’ils soient noirs ou blancs, font partie de l’élite de la nation, dans celui de Shiner ce sont les milieux populaires et ouvriers qui sont au cœur de l’histoire.
La force du livre tient à sa triple approche, à la fois psychologique, sociale et historique. Nous découvrons avec lui les années 1960 de Martin Luther King, la force de la contestation antiségrégationniste ainsi que les réactions brutales qu’elle a provoquée, les traces laissées à notre époque par ces années là, les tensions qui subsistent aujourd’hui encore entre les communautés, la façon dont les individus, aujourd’hui comme hier, intériorisent ces conflits. Le roman comprend trois grandes parties, qui alternent entre période contemporaine pour les parties 1 et 3, qui couvre les années Johnson/ Nixon pour la deuxième partie.
Robert, père du talentueux dessinateur de BD Michael Cooper, est en train de mourir d’un cancer dans la ville de Durham, au sud des Etats Unis. Trente ans plus tôt, il avait travaillé dans cette ville comme ingénieur et participé à la construction de l’autoroute qui, en traversant la ville, avait provoqué la destruction d’un quartier Noir : Hayti. Les conséquences avaient été dévastatrices pour des milliers d’habitants, amenant le départ et la ruine de nombreux d’entre eux.
Michael, dont les relations avec son père sont distendues, pressent qu’un mystère plane sur sa naissance et, arrivé à Durham, il cherche à rencontrer des anciens employés de la société dans laquelle travaillait son père pour les questionner et tenter de comprendre les partie obscures de son histoire familiale.
Un cadavre est trouvé dans un pilier de l’autoroute construite par son père une trentaine d'années plus tôt. La victime était un militant noir de la ville de Durham luttant pour les droits civiques.Robert semble mêlé à l’histoire, mais de quelle façon ? Quel rôle jouait-il dans le rapport de force tendu, parfois violent, entre les communautés blanches et noires de cette ville du Sud ? La quête difficile de Michael, qui se heurte à des intérêts financiers et idéologiques obscurs mais puissants, va avoir des conséquences inattendues. En essayant de tirer le fil qui pourrait lui permettre de comprendre qui sont réellement ses parents, il va remuer d’anciennes histoires qui vont bouleverser sa vie, y compris sa vie affective.
Son père est-il impliqué dans l’assassinat du révolutionnaire noir de Hayti ? Si oui, de quelle façon ? Sur le point de mourir, Robert raconte à son fils ce qui s’est réellement passé dans la ville de Durham quand il s’y est installé avec Ruth, son épouse, comme jeune ingénieur travaillant dans le bâtiment. Peu à peu, des pans entiers du passé de ses parents vont surgir et éclater au visage de Michael. Les liens entre la famille de sa mère et une organisation extrémiste proche du K.K.K. , ainsi que la liaison que son père a eu dans sa jeunesse avec une belle jeune femme noire pratiquant la religion vaudou remettent en question ses certitudes et jusqu’à ses racines familiales.
Les découvertes de Michael sur son enfance et le passé de ses parents vont susciter des réactions inimaginables de la part des extrémistes racistes de la ville. La tension monte peu à peu. Le suspense s’amplifie jusqu’au point d’orgue final et le roman glisse vers le thriller d’une façon parfaitement assumée, même si elle peut sembler décalée par rapport à ce qui semblait être (à mes yeux de lecteur) le projet initial du livre. Le final du roman aboutit à d’énormes surprises quant au passé de Michael, à sa petite enfance.
Le final du livre semble avoir été écrit en pensant à une possible adaptation cinématographique : très hollywoodien, il constitue (à mes yeux) le seul point faible – car plutôt inutile – de ce livre exceptionnel, qui place Lewis Shiner au panthéon des meilleurs auteurs américains contemporains.
Cet article a été publié sur
Un polar collectif
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