R.J. Ellory - Les Anges de New York (2010)

Autour du roman policier et associés : énigme, suspense, thriller, roman noir, espionnage, western, polar fantastique

R.J. Ellory - Les Anges de New York (2010)

Messagepar Jacques » Mardi 28 Février 2012, 15h32

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Dans les forums Internet et les lieux consacrés aux polars, la sortie en France de ce nouveau livre de R.J. Ellory a été un évènement. Avec ses trois premiers romans traduits en français : Vendetta ; Seul le silence et Les Anonymes, celui-ci s’est taillé une réputation d’auteur talentueux, à l’écriture originale et aux intrigues sophistiquées s’inscrivant dans les problématiques de notre époque. Aussi, lorsque j’ai ouvert son livre, je savais que j’allais avoir quelques heures de pur plaisir de lecture, un sentiment qui n’est pas si fréquent !

Autant vous le dire d’emblée : je n’ai pas été déçu. L’auteur nous plonge dans l’univers glauque et parfois sanglant des flics new yorkais de l’époque contemporaine ainsi que ceux des années 1980 : les Anges de New York.
Le héros du roman, Franck Parrish, est un flic dont le père a été une légende chez ses collègues, avant d’être mystérieusement assassiné alors que Franck était encore enfant. Dès le prologue, qui est un véritable morceau d’anthologie du polar noir, Parrish tente de sauver de la mort un jeune couple, paumés et drogués. Tommy a tranché au rasoir l’artère fémorale de sa à copine Heather avant de menacer de se tuer, et ils se retrouvent tous les deux dans une baignoire gluante de sang. Franck est là, qui tente à la fois de stopper l’hémorragie de Heather et d’empêcher le suicide de Tommy.

Quelques pages qui mettent d’emblée le lecteur dans le bain, d’une façon brutale, sans prendre de gants, en nous permettant au passage de comprendre les énormes tensions psychologiques accumulées par le héros au fil des années, des tensions liées autant à son travail qu’aux liens entretenus par Franck Parrish avec le souvenir de son père.
Les relations fils/père ainsi que celles de Franck Parrish avec ses propres enfants vont d’ailleurs être un des axes majeurs et particulièrement intéressant du livre.
Mais qu’en est-il de l’intrigue ?
Il est difficile de bâtir une histoire policière ayant un scénario novateur et surprenant. Tellement de livres ont été écrits sur les thèmes de la folie meurtrière, des pulsions homicides liées à l’argent ou au pouvoir, des meurtres provoqués par l’amour, le sexe, la jalousie et le désir, que l’originalité d’un polar noir doit être cherchée ailleurs. Tout le talent d’Ellory consiste à bâtir son histoire sur des schémas si classiques qu’ils frôlent le cliché (quand ils ne s’y noient pas), et à s’appuyer sans complexe sur ses schémas pour créer des personnages inoubliables par leur force et leur véracité.

Car c’est vrai que l’on trouve dans Les Anges de New York quelques uns des clichés classiques des polars urbains contemporains. Jugez-en : des crimes touchant de très jeunes filles qui semblent avoir été commis par un même individu ; un flic paumé, alcoolique, à la dérive, mal dans sa peau, mais aussi bon enquêteur obsédé par son travail ; son jeune équipier (Radick) qu’on vient de lui coller après la mort en service de son précédent coéquipier et ami, Radick qu’il va découvrir peu à peu puis apprécier après moult difficultés d’apprivoisement réciproque ; des relations difficiles entre notre flic et sa fille Caitlin, jeune femme qui aimerait bien que son papa la laisse un peu respirer ; du côté vie privée de Parish, des relations encore plus difficiles avec son ex-femme qui semble lui vouer une haine franche et sincère ; des liens très distendues avec son fils ; aucune relation sociale ni même amoureuse, sinon avec Eve, une escort girl qu’il voit de loin en loin…

On se demande comment, sur cette base là, Ellory va s’y prendre pour ne pas nous lasser et nous persuader que nous n’avons pas déjà lu cette histoire mille fois !
Or il y parvient d’une façon magistrale. Grâce à son écriture foisonnante, il donne au personnage de Franck Parrish une épaisseur rarement atteinte. L’empathie avec lui est presque instantanée alors même que nous découvrons, au fil des pages, ses côtés sombres. Car ce personnage, hanté par le souvenir d’un père que chaque flic new yorkais considère comme un héros, ne veut surtout pas ressembler à cet homme, dont il a honte d’être le fils. Il sait – ou croit savoir, c’est un des objets du roman – que son père John, loin d’être le héros que tout le monde imagine, a été corrompu par la Mafia, allant jusqu’à tuer pour elle quand celle-ci le lui demandait. Ce secret, soigneusement caché jusqu’alors, a suscité chez lui des tensions psychologiques telles qu’elles risquent de mettre en cause la qualité de son travail de flic.

Les personnages secondaires sont également à la hauteur du héros, que ce soit celui de la fille de Parrish, étouffée par un père surprotecteur, de Radick, le jeune coéquipier qui voue à Parish une admiration filiale tout en ayant conscience de ses faiblesses, de Marie, la psy qui tente de l’aider à surmonter ses difficultés et qui est parfois au bord du découragement… tous sont crédibles, profondément humains et suscitent notre intérêt.
Autre point fort du livre : la réflexion sur le rôle de la police, son évolution dans la société américaine ainsi que les relations entre la police et la justice. Ces thèmes fréquemment abordés dans le roman noir américain sont ici décrits avec justesse et profondeur, sans concession.

Enfin, il y a comme point central du roman la ville de New York, admirablement décrite par Ellory, avec ses bas-fonds, ses problèmes de violence, sa corruption rampante, sa vitalité incroyable… On sent que cette ville le fascine et qu’il cherche à nous faire partager sa fascination et il y parvient de belle façon.
Dans ce livre dense, foisonnant, d’une grande richesse thématique, aux personnages superbes, R.J. Ellory nous livre toute la mesure de son talent. Il nous offre là un roman noir inoubliable que les amateurs du genre ne doivent manquer sous aucun prétexte !

Cet article a également été publié sur le blog un polar collectif : http://tinyurl.com/6vdtwdw
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Messagepar erwelyn » Mardi 28 Février 2012, 17h05

Ellory, c' est mon associée "Willow", qui adore. Elle se bat depuis 2 ans pour l'avoir en dédicace. mais comme on ne représente pas assez de chiffre, l'agent littéraire fait barrage.
:evil:
En attendant voici sûrement encore une belle leçon de littérature.
Le livre sort le 15 mars 2012
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Messagepar Willow » Jeudi 01 Mars 2012, 08h38

Bonjour Jacques, c'est une bien belle critique ! Bravo.
J'avais lu deux ouvrages de lui. "Les anonymes" et "Vendetta". C'est vrais qu'à chaque fois, il réussit à trouver l'angle idéal, qu'il raconte à la fois des histoires et DE l'Histoire, ce qui apprend beaucoup de choses au lecteur.

La petite critique négative que je pourrais faire, c'est que c'est parfois, trop foisonnant justement. J'ai l'impression que l'intrigue, le roman pourraient gagner en rythme s'il allait plus "Droit au but" ! Notamment dans Vendetta, quand le héros accepte de raconter son histoire aux flics, on a parfois envie de le secouer pour lui dire "bon, tu en viens au fait !!? :roll: " Dans un roman de 450 pages par exemple, on pourrait y gagner quelques dizaines de pages. Enfin c'est mon avis, parfois ça tourne un peu trop en rond.
Mais, c'est une toute petite critique face à la grandeur de son talent, à la fois pour inventer des histoires et pour aller chercher des informations. On sent à chaque fois qu'il a énormément bossé ses sujets.
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Messagepar Jacques » Vendredi 02 Mars 2012, 06h23

C'est vrai Willow, ta remarque est judicieuse. C'est le problème des auteurs qui ont une trop grande facilité d'écriture : ils ont souvent intérêt à élaguer avant de publier. Mais comme j'aime l'écriture de Ellory, ça me gêne moins que pour d'autres auteurs (j'ai eu du mal à finir le tome 3 de Millenium par exemple).

Sinon, j'ai adoré ta chronique sur "The Artist", un vrai régal !
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Messagepar Willow » Samedi 03 Mars 2012, 09h47

Ah oui ! The artist .... héhé...

merci ! :D
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