Robert Charles Wilson (1953-) par Cryptide

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Robert Charles Wilson (1953-) par Cryptide

Messagepar erwelyn » Mercredi 22 Février 2012, 16h44

Natif de Californie mais vivant au Canada depuis ses neuf ans (où il s'est fait naturalisé), Robert Charles Wilson s'est taillé depuis quelques années une réputation solidement établie dans la science-fiction contemporaine et est considéré à juste titre comme un des meilleurs auteurs actuels. Depuis la parution de Darwinia en 1998 (le premier a s'être fait remarquer bien que trois autres romans avaient déjà été publiés en France), chacun de ses romans est attendu avec enthousiasme et, si on ne peut parler de chef-d’œuvre à chaque fois (mais quel auteur réussirait ce tour de force ?), chaque nouvel opus est un modèle d'intelligence, de finesse d'écriture, de crédibilité et d'idées fascinantes. La SF de Robert C. Wilson est certes assez classique ; on pourrait même parler de SF grand public sans que cette appellation soit pour autant péjorative. Que ce soit de la part des amateurs purs et durs ou d'un public qui prise peu le genre, les romans de Wilson sont appréciés par beaucoup de lecteurs d'horizons divers.
La raison de cette (quasi) unanimité ? En premier lieu, une œuvre dont les caractéristiques doivent autant à la littérature générale qu'à la science-fiction. Robert Charles Wilson écrit en effet des romans très proche du mainstream mais en y intégrant des thèmes et des idées typiquement SF. Cependant, cela ne signifie nullement que l'auteur cherche consciemment à amener un lectorat réfractaire au genre par un savant calcul en brouillant les frontières (impression que donne parfois certains auteurs mainstream actuels en injectant de la SF dans leurs écrits). Car Wilson est bel et bien avant tout un véritable écrivain de science-fiction ; il en a toujours écrit et ce dès son premier roman The Hidden Place (qui paraîtra bien plus tard en France sous le titre La cabane de l'aiguilleur). Mais c'est un fait que, quand on regarde les différents commentaires le concernant, Robert C. Wilson est un des rares auteurs SF qui plaît aussi aux lecteurs qui n'en lisent pas (ou si peu).

Au-delà de ce problème de genre - finalement bien secondaire - les romans du canadien se distinguent aussi (surtout) par deux qualités essentielles qu'on ne saurait lui contester : une écriture de grande qualité et l'importance prédominante de la psychologie. Considéré comme un auteur humaniste, il est maintenant reconnu pour sa faculté à créer des personnages à la psychologie très fouillée, à tel point que cet aspect représente souvent une partie substantielle de ses romans. Des hommes et des femmes sans rien d'exceptionnel confrontés à un événement extraordinaire dont l'onde de choc se répercute sur leur vie privée et leur relation avec le monde. Ce soin apporté aux personnages donne au lecteur une grande impression de réalisme (la SF de Wilson n'a rien de fantaisiste) et lui permet une identification immédiate, une empathie très immersive. Wilson implique toujours émotionnellement le lecteur, lui faisant passer par toute une gamme de sentiments complexes, que ceux-ci soient de liés à leur histoire personnelle (amour, divorce, ambition, culpabilité) ou aux événements cosmiques qui ont un impact à la fois sur la situation géopolitique du monde mais aussi sur ce petite échantillon d'humains sur lequel Wilson se focalise. Ces événements nous sont d'ailleurs toujours montrés à travers le point de vue de ses personnages - parfois racontés à la première personne du singulier - un choix qui me paraît judicieux (bien que certains n'apprécient pas cette limitation de la subjectivité) qui évite en tout cas la froideur d'un style journalistique qui laisserait le lecteur à distance.

Mais venons-en au contenu purement science-fictif. Les romans de Wilson débutent toujours par une idée qui est à la fois simple et forte (apparitions subites de gigantesques monolithes venus du futur dans Les Chronolithes, disparition tout aussi subite des étoiles occultées par une membrane qui entoure la Terre dans Spin, disparition de tout un continent remplacé par un autre radicalement différent dans Darwinia, pour ne citer que ceux-là). Bref, un postulat de départ qui peut se résumer en quelques mots et qui - élément qui joue aussi en faveur des amateurs de mainstream - se situe le plus souvent dans un avenir très proche (ou un passé aisément identifiable : le début du XXiè siècle dans Darwinia, la Grande Dépression dans La cabane de l'aiguilleur) ce qui renforce encore l'impression de réalisme et permet au lecteur de garder ses repères sans se sentir largué dès la première page par un contexte trop différent (le genre space-opera situé en l'an 34 de l’Ère de la Seconde Migration, vous voyez le genre...) ou une écriture trop sophistiquée et décalée aux métaphores technologiques (comme chez William Gibson). La SF de Wilson est immédiatement accessible puisque le monde qui nous est décrit est à peine différent du nôtre (à l'exception de Bios, qui se déroule au XXIIè siècle) si ce n'est quelques détails qui font la différence (les ordinateurs quantiques dans Blind Lake) et, bien sûr, les événements qui y apparaissent. En outre, la science qui y est décrite est également facile d'accès et clairement (bien que sommairement) expliquée (rien à voir avec la hard-science) et ne représente d'ailleurs qu'une portion congrue, l'essentiel des préoccupations pour l'auteur étant encore et toujours l'humain, dans ses rapports au microcosme (son environnement direct) et au macrososme (l'univers et ses mystères), les deux étant étroitement liés. La science n'est que le moyen, le prétexte, pour interroger le monde, et certainement pas une fin en soi.

En fait, la manière qu'à Wilson de construire ses romans doit autant, sinon plus, au fantastique qu'à la SF et je dois dire que, personnellement, cet aspect-là m'a tout de suite séduit. Comme dans le fantastique, on assiste à l'irruption d'un phénomène dans la trame de la réalité conventionnelle et on s'attache à décrire les réactions des protagonistes face à ce(s) phénomène(s). La différence étant bien sûr que, sur le fond, la nature des événements n'est pas surnaturelle et inexplicable mais de type scientifique (et souvent plausible). Ajoutons aussi que, contrairement à un roman fantastique, l’œuvre de Wilson - comme toute bonne science-fiction - explore tous les aspects du problème, qu'ils soient sociaux, politiques, géographiques, technologiques, etc...
Néanmoins, le rapport avec le fantastique me semble assez évident, ce qui en passant permettrait au amateurs du genre (et qui apprécient peu le côté trop spéculatif de la SF) d'aimer aussi les romans de Robert Charles Wilson (à ce sujet, je suppose qu'ils devraient apprécier Mystérium dont l'ambiance, à ce que j'ai cru comprendre (je ne l'ai pas encore lu) le rapproche fortement du fantastique, voir de l'épouvante). Bref, Wilson (ré)concilie deux genres que l'on dit souvent antinomiques et satisfait autant les amateurs de l'un ou de l'autre, ou encore (comme votre serviteur) ceux qui aiment les deux.
Considérant donc cette convergence qui le situe à la croisée du mainstream, de la SF et du fantastique (excusez du peu !) et qui lui permet de rassembler divers types de lectorat, il n'est finalement pas étonnant que Robert C. Wilson jouisse d'une telle notoriété, sans parler de toutes les qualités dont j'ai parlé plus haut.

En survolant tous les romans de l'auteur depuis ses tous débuts, on constate que ceux-ci reviennent constamment sur les mêmes thèmes (toujours axés sur cette complexe créature bipède appelée Homme), parfois même des situations identiques, en tout cas sur des questions qui semblent bien hanter Robert C. Wilson et donne à son œuvre une grande cohérence thématique mais aussi stylistique. Exemple : le choix entre la persistance de l'humanité telle qu'elle a toujours été ou sa modification (son dévoiement peut-être ?). Sujet déjà abordé dans Le vaisseau des voyageurs où les hommes doivent choisir entre rester mortels ou la promesse d'une immortalité qui les rendraient définitivement différents. Dans Bios, avec cette femme génétiquement modifiée et aux émotions (théoriquement) supprimées. Ou encore Ange mémoire, roman cyberpunk qui interroge le problème de la mémoire d'être humains "cyber-modifiés". Autre exemple : le sentiment de l'inéluctabilité, qui imprègne autant Les Chronolithes que le fameux Spin (Prix Hugo 2006) et concerne principalement les nouvelles générations. Dans le premier, la connaissance d'un futur terrifiant ployant sous l'autorité d'un dictateur à la gloire duquel on été édifiés les fameux monolithes crée un sentiment de fatalité compréhensible auprès des jeunes. Comment, en effet, se sentir libre de sa destinée et réagir contre des événement ayant déjà eu lieu ? C'est le principal problème paradoxal posé par cet étonnant roman. Dans le second (Spin), la situation est assez proche : face à une apparente condamnation de la terre dans quelques décennies par un soleil mourant, c'est toute une génération qui doit apprendre à vivre avec cette fin programmée de leur monde, tel un bruit de fond permanent qui rend toute initiative dérisoire sur le long terme. Pourtant, les personnages de Wilson ne sombrent pas (tous) dans la fatalité et l'auteur, contrairement à la souricière des tragédies grecques, laisse à ces protagonistes quelques portes de sortie possibles et des occasions d'espérer (rendez-vous est pris pour la suite de Spin, Axis).
Ce qui est le moins que puisse faire "l'Humaniste de la SF actuelle".

En conclusion, l’œuvre de Robert Charles Wilson est d'une belle richesse, sait souvent (pas toujours mais souvent) trouver le bon équilibre entre une intrigue aux dimensions spectaculaires et un intimisme qui place ses histoires à hauteur d'homme, accessible sur le plan scientifique par sa clarté et une approche plus allusive que démonstrative, et un réel talent pour immerger son lecteur dans ses histoires.
Bien sûr, tous ces livres ne sont pas irréprochables. Certains pêchent par excès de zèle (Le vaisseau des voyageurs m'est tombé des mains. Un roman bien trop long pour une idée somme toute limitée et qui n'évolue pas, l'auteur se perdant dans ce qui fait pourtant sa force habituellement : des histoires personnelles lassantes). D'autres sont à moitié ratés (Bios, malgré son potentiel de départ et son ambiance paranoïaque, est trop superficiel, dégage une certaine froideur inaccoutumée chez l'auteur inspirant peu l'empathie et reste, au final, peu passionnant). Il me paraît évident aussi que, vu l'homogénéité de l'ensemble, "la Wilson touch" pourrait t-on dire, celui qui n'a pas du tout aimé l'un d'eux (surtout Les Chronolithes ou Spin) n'appréciera sans doute pas les autres, de même que ceux qui préfèrent une SF plus rapide et mouvementée et peu sensibles aux circonvolutions psychologiques.
Pour les autres en revanche (dont je fais partie) et malgré quelques déceptions passagères, ils devraient suivre avec attention un auteur qui a encore de l'avenir devant lui et quelques grandes œuvres, je le parierais.

Bibliographie :

- A Hidden Place (1986)
- Ange mémoire (1987, Folio SF 2008)
- Les fils du vent (1987, J'ai Lu 1994)
- Vice et versa (1990, J'ai Lu 1992)
- Le vaisseau des voyageurs (1992, J'ai Lu 1994). Réédité en Folio SF en 2006.
- Mystérium (1994, J'ai Lu 1995). Réédité chez Denoël dans un recueil (2008).
- Darwinia (1998, Denoël 2000). Réédité en Folio SF en 2003.
- Bios (1999, Folio SF 2001. Inédit)
- Les Chronolithes (2001, Denoël 2003) Réédité en Folio SF en 2007.
- Blind Lake (2003, Denoël 2005)
- Spin (2005, Denoël 2007) PRIX HUGO en 2006 et Grand Prix de l'Imaginaire en 2007.

- Mystérium (2008, Denoël)
* Ce recueil de 700 pages contient le premier roman inédit en France La cabane de l'aiguilleur (A Hidden Place) et Mystérium + 6 nouvelles inédites : Le mariage de la dryade, Le grand Adieu, Les Affinités, Le théâtre cartésien, YFL - 500, Julian un conte de Noël.
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