Le secret des amandiers (extrait)

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Le secret des amandiers (extrait)

Messagepar Chantal Adam » Vendredi 16 Novembre 2007, 20h21

Un homme étrange, ce Wilfred Show. A quarante ans il en paraissait à peine vingt-huit, grand, élancé, les yeux glauques très rapprochés, la couleur poil de carotte d’une longue chevelure qu’il retenait soi-gneusement sur la nuque traduisait sans conteste ses origines irlandaises. Il portait plutôt bien le catogan et choisissait presque exclusivement des vêtements de couleur noire qui généralement sied aux rouquins. Tantôt silencieux et mélancolique, tantôt rebelle et immodéré, il affichait des humeurs versatiles comme un adolescent, comme un artiste... Show se disait écrivain. Il dut la publication d’une série d’articles, dans une revue homosexuelle, à des accointances notoires avec le milieu gay londonien. Le milieu gay catalan fréquentait quant à lui avec assiduité la plage naturiste de sable fin du Torn ; ceci expliquait sans doute le vif intérêt que Show portait à cette maison : «La Perla».
López, avant de prendre congé, lui offrit un magnum de vin du Priorat pour sceller le contrat. Il avait à peine tourné les talons que Show emprunta l’escalier taillé dans la roche au haut duquel il avait, quelques minutes auparavant, croisé le regard fulgurant d’un bellâtre qui se promenait, parmi quelques badauds, sur la plage. Il ressentait une pressante envie d’assouvir ses désirs charnels. Trois mois d’abstinence avaient décuplé ses appétences. Il arpenta la plage de long en large, sans succès. La mort dans l’âme, il regagna «La Perla» décidé à s’adonner, une fois encore, aux plaisirs solitaires. La maison, pourtant pleine de toutes ces vieilles choses, semblait vide, inhospitalière. Le visage de Show s’égaya doucement alors que son regard se posait sur le magnum du Priorat. Le ciel s’était dangereusement obscurci. Les détonations sourdes au-dessus de la montagne se rapprochaient de plus en plus. Sur la mer, les premiers nuages crevaient parcimonieusement en grosses gouttes. Après une longue recherche, il dénicha un verre et un tire-bouchon. Il actionna son disc man. La musique de Queen, qu’il aimait plus que tout, inonda la pièce. D’abord sage et chaude la voix de Mercury le saisit d’un frémissement de joie intense.
Il avala une généreuse gorgée de vin. Il se dandina gentiment. La pluie serrée claquait les vitres avec force. Il monta le son. La douce chaleur du vin l’enivrait. Alors que Brian May entamait avec une énergie sensuelle un solo de guitare terriblement efficace, un violent bonheur l’envahit et son corps s’exprima de façon plus hardie. L’espace était électrisé de sonorités heavy métal qui allaient crescendo presque en harmonie avec les grondements du tonnerre. Transporté hors de la réalité, Show n’avait pas conscience que quelqu’un avait gravi l’escalier abrupt taillé dans la pierre.
Accroupi sur la terrasse dallée de pavés beige-rosé, il l’épiait, au travers de la vitre à croisillons. La musique plein les yeux, les gestes indomptés, Show se déhanchait sans raffinement de plus en plus sauvagement. Les éléments extérieurs se déchaînaient et l’orage soutenait si sensuellement la musique de Queen qu’il se caressa la poitrine, glissa une main sous son jeans. Ses doigts se crispèrent un bref moment lorsqu’un flash isola une image fugitive derrière la vitre à croisillons. Une silhouette recroquevillée à l’abri sous un caban sombre dont le capuchon recouvrait toute la tête. Show n’y vit aucun ennui. Le bellâtre de la plage était là, en quête de plai-sir, pensa-t-il. Cette idée aviva ses désirs. Il laissa, généreusement, couler le vin dans sa gorge. Alors, sans trop réfléchir, il prit la délicieuse initiative de se mettre en scène. Qu’avait-t-il à perdre ? Mercury l’épaulait. Son déhanchement se fit vulgaire. Son visage tremblait. Mercury gueulait : «Fight me sombody to love» étouffant complètement les rires singuliers qui venaient du dehors ; des sons à la fois perçants et un peu éraillés.
L’invité mystérieux se releva lentement. Il était immense, baraqué comme un boxeur. Le capuchon oscilla d’arrière en avant. Les rires se firent ricanements puis cessèrent net. Le caban sombre se rapprocha tout contre la baie. Show en traduisit que le spectateur était prêt. Il bougea son corps d’avantage, poussa d’un geste provocateur le bassin en avant et s’excita les parties génitales de ses longs doigts osseux. Alors que les nappes de claviers de Mercury installaient une ambiance dramatique, oppressante, une nappe d’éclairs illumina le vantail de la baie vitrée et la main gantée du mystérieux spectateur qui décrivait de grands traits sur la vitre. Show n’y prêta pas attention, la peau en sueur, il reprenait avec son idole le refrain de ce titre jouissif. Il s’approcha de la porte et réalisa que ce dessin sur la vitre ressemblait à s’y méprendre à l’esquisse d’une potence. Son corps cessa de se tortiller, il était là, debout, immobile, le pantalon sur les chevilles, essayant de traduire le regard transperçant, haineux qui se cachait sous le caban. La vitre explosa. Show comprit que la violence contenue sous l’épais manteau de drap vert était grande mais il ne bougea pas d’un iota. Il se répétait à voix basse : «C’est ma vie qui s’en va ! C’est ma vie qui s’en va !»
Queen, grandiose, s’emballa dans une surenchère de soli de guitares qui finit littéralement en apothéose, leur chant du cygne : «The show must go on. »
Chantal Adam
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