Thématique du labyrinthe

Science, fiction et veille sous le ciel étoilé des motifs & thématiques de l'imaginaire : des créatures de légende aux extraterrestres, voyage dans le temps...

Thématique du labyrinthe

Messagepar Cryptide » Vendredi 09 Janvier 2009, 13h41

Présent dans de nombreuses cultures depuis l'Antiquité, le labyrinthe se présente communément comme un tracé problématique où s'égare celui qui emprunte ses nombreuses bifurcations. Néanmoins, il peut aussi, de manière plus abstraite, se faire métaphore de la condition humaine et de sa psyché (en tant que cheminement spirituelle ou aliénation mentale). Ainsi, les religions (d'abord païennes, puis chrétienne) en ont fait soit un symbole rituel ou la reproduction imagée des épreuves et du salut final auquel aspire tout croyant. Le labyrinthe figuré se retrouve assez souvent dans les genres de l'imaginaire tels que le fantastique, la fantasy et la science-fiction. Sa version abstraite et allégorique est plus fréquente dans la littérature générale (tels que chez Kafka, Joyce ou Cortazar), que ce soit dans le sujet ou la technique narrative proprement dites.

Le XXiè siècle fut, plus que tout autre, le siècle labyrinthique par excellence, perdu dans les méandres d'un monde en perte de repères où les individus, à défaut de chemin clairement tracé, ne peuvent s'en remettre qu'à leur propres choix autant qu'aux aléas du hasard. La représentation scientifique du monde elle-même a perdu beaucoup de ses certitudes, la physique quantique en particulier a plongé l'homme dans un univers étrange, complexe, inquiétant (mais aussi fascinant) fait d'indétermination qui suscite un sentiment proprement...labyrinthique. De temps à autre, le singulier tracé, plus que jamais d'actualité, réapparaît dans des fictions. A la recherche d'un sens, d'une trame narrative séduisante mais aussi, plus simplement, d'une manière de divertir car n'oublions pas qu'un des aspects les plus appréciées - et le plus pratiqué - du labyrinthe demeure sa capacité à nous amuser.


Voici quelques oeuvres dans le domaine de l'imaginaire qui ont exploité le thème du labyrinthe :


LITTERATURE

La bibliothèque de Babel, nouvelle de J.L. Borges.
L'auteur argentin voit l'univers comme une bibliothèque et celle-ci a forcément des dimensions en conséquence : un nombre infini de rayonnages, pièces et couloirs pour un nombre tout aussi infini d'ouvrages. Et parmis eux, peut-être, LE livre qui les résumerait tous. Le labyrinthe devient ici une métaphore de la connaissance, un lieu cosmique ouvert sur un abîme qui, pour être intimidant, n'en est pas moins accessible à tous. A condition de trouver son chemin.

Les Montagnes Hallucinées, nouvelle de H.P. Lovecraft
Certains labyrinthes sont édifiés par des êtres venus d'ailleurs : c'est le cas pour la titanesque cité des Grands Anciens découverte en Antarctique par une poignée d'explorateurs, une mégapole de pierres dont la configuration est radicalement étrangère aux conceptions architecturales humaines. Un des meilleurs textes de Lovecraft.
Dans une autre nouvelle, plus ancienne, du même auteur, Dans les murs d'Eryx, un explorateur se retrouve prisonnier d'un labyrinthe aux parois transparentes situé sur Vénus.

Le Terrier (nouvelle), Le Procès et Le Château (romans) de Franz Kafka
Cette étrange nouvelle restée inachevée nous montre une créature se bâtissant un réseau complexe de galeries pour se protéger d'un hypothétique prédateur dont nous ne saurons rien. Ironie du sort : le narrateur ira jusqu'à se perdre lui-même dans sa propre construction. Un récit qui, comme toujours chez l'auteur tchèque, est fortement allégorique.
Dans un registre plus conceptuel, citons aussi les deux oeuvres labyrinthiques majeures de l'écrivain, à la frontière du fantastique : Le Procès et Le Château, deux évocations incroyables de lucidité sur la condition humaine en général et la situation de l'homme du XXiè siècle en particulier. Avec ses deux romans (également inachevés d'ailleurs, tels des labyrinthes sans sortie), Kafka dresse le portrait de l'homo dedalus mieux que personne et leur richesse est telle qu'ils constituent une matière toujours renouvelée pour les exégètes littéraires.
Au travers de l'odyssée bureaucratique insensée de Joseph K. dans Le Procès, arrêté sans raison et forcé d'entreprendre une série de démarches juridiques absurdes, Kafka déroule un dédale allégorique et sans espoir dans lequel se contorsionne énergiquement (mais vainement) son héros, sommé de répondre d'un délit qui n'est sans doute autre que le simple fait d'être vivant (et la notion de culpabilité, tellement chère à la pensée judéo-chrétienne, n'y est pas étrangère non plus).
Dans Le Château, l'auteur tchèque va encore plus loin dans l'abstraction et l'allégorie. A partir du point de départ encore plus ténu d'un homme (dont le nom n'est plus qu'une seule lettre, K) tentant en vain d'atteindre un château mais qui passera sa vie dans le village situé en contre-bas sans espoir d'accéder au but fixé, ce roman est encore plus labyrinthique que le précédent, le dédale n'étant pas figuré par le Village lui-même - apparemment de dimension modeste et banale - mais par la structure narrative du roman. K. tourne en rond, rencontre nombre de culs-de-sacs, de tentatives avortées, de dialogues avec les habitants n'aboutissant nulle part (le language chez Kafka est également labyrinthique). Pour, peu à peu, et sans trop s'en rendre compte, s'installer dans ce village qui ne devait pourtant n'être, au départ, qu'une simple étape vers le château (le centre ou la sortie du labyrinthe ?).

Maison hantée, roman de Shirley Jackson
Le roman insiste sur la configuration labyrinthique du manoir édifié par Hugh Crane. Les invités du professeur en parapsychologie auront d'ailleurs un peu de mal à se diriger dans la maison. Cette idée est reprise dans l'adaptation ciné de Robert Wise La maison du diable (1963) où le prof lui-même, croyant avoir trouvé la salle à manger, ouvre une porte sur un...placard à balais. La maison est également décrite par ce dernier comme "malade" ou "folle", ce qui renvoie au thème de la démence comme motif labyrinthique.

L'homme dans le labyrinthe, roman de Robert Silverberg
Un des meilleurs roman de l'auteur dont la présence s'impose tout naturellement ici.
Un certain Richard Muller s'est exilé sur une planète après avoir été banni par ceux de son espèce. Vivant depuis neuf ans, seul, dans un immense labyrinthe d'origine inconnue, il a appris à s'y adapter, à en éviter tous les pièges mortels, sans pour autant en comprendre le sens. Mais un jour, une équipe est envoyée pour le récupérer. Encore faut-il parvenir jusqu'à lui, dans la zone centrale où Muller s'est réfugié, et peut-être surtout convaincre un homme de renouer avec ses semblables.
Ce labyrinthe est le lieu d'une réclusion - et même d'une solitude - consentie d'un individu dont la mise à l'écart a rendu misanthrope, et qui se livre à une sorte de jeu mortel destiné aussi à éprouver ses propres limites.
Le roman de Silverberg pose beaucoup de (bonnes) questions sur les rapports conflictuels de l'homme avec ses congénères mais ne donne aucune réponse toute faite, laissant au lecteur le soin de se faire sa propre interprétation.
L'homme dans le labyrinthe reste aussi un très bon roman d'aventure, efficace et divertissant.

Au bout du labyrinthe, roman de Philip K. Dick
L'aventure d'un groupe de personnages ayant atterri sur la planète Delmak-O. Une série d'événements aussi déstabilisants qu'inquiétants montre que, sur la planète, la réalité est fluctuante, chacune des personnes y apportant sans le savoir une part de sa subjectivité. Mais le labyrinthe dans lequel se débat le groupe est lui-même un leurre, une simulation, un "rêve polyencéphalique" géré par un ordinateur.
Mais Dick n'a évidemment pas attendu ce roman assez tardif dans sa production (1970) pour développer le thème du labyrinthe, même si c'est la première fois qu'il utilise le mot dans un titre (A maze of death en anglais).
En fait, c'est toute son oeuvre qui peut être vue comme la plus labyrinthique de la science-fiction, exploration d'un vaste dédale narratif et spéculatif dont le nom est Illusion (que d'autre appelle Réalité, bien sûr). Le dédale dickien est un simulacre dans lequel se perd l'homme, trompé à la fois par ses sens et une incapacité intellectuelle à déchirer le voile de l'illusion. Cette conception gnostique du monde qui a hanté toute la vie de l'auteur rejoint le labyrinthe de type médiévale pour sa représentation "infernale" du dédale (baptisé par Dick Prison de Fer Noir) mais aussi l'idée d'intériorité propre à la modernité (le labyrinthe est en l'homme autant que l'homme est en lui).
Mais outre ses considérations philosophiques, l'autre aspect labyrinthique de l'oeuvre dickienne vient du principe d'Incertitude qui imprègne tous ses écrits (et sa propre vie). Dick avait l'habitude de ne pas choisir un chemin (ou une explication) en particulier mais d'en proposer plusieurs, abandonnant l'un pour bifurquer aussitôt vers un autre, quitte à sombrer dans un maëlstrom de contradictions. Ce fait est particulièrement frappant dans son Exégèse, vaste ensemble non publié de spéculations qui s'étendent sur environ huit mille pages (!) et dans lequel l'auteur s'est perdu plus d'une fois.
On notera également que certains titres des éditions françaises évoquent le labyrinthe (le roman Dedalusman ou le recueil de nouvelles Dédales démesurés.

Trajets et itinéraires de l'oubli, nouvelle de Serge Brussolo.
Brussolo inscrit son labyrinthe dans un autre édifice consacré à la culture : le musée. Un bien étrange musée que celui-là, où les objets qui le composent défie la logique mais dans le cadre qui nous occupe ici, le plus important est que ce musée est avant tout un dédale immense, où le visiteur se voit obligé de porter un gadjet électronique (incassable, de préférence !) capable de lui indiquer le chemin de la sortie à tout moment, sous peine d'errer durant des mois, des annés, voir toute sa vie, dans le musée (des distributeurs de nourriture et toutes les commodités d'usage sont disséminés partout dans le dédale).
L'héroïne de cette fascinante nouvelle, chargée, comme d'autres, de répertorier certaines pièces, choisira pourtant de se perdre sciemment dans le labyrinthe, allant même jusqu'à faire corps avec lui au bout de son "itinéraire de l'oubli" dans une pièce-ultime pouvant la mener à une sorte de conscience collective.
De ce point de vue, cette nouvelle, toute science-fictive qu'elle soit, renoue également avec une tradition mystique et ésotérique, bien qu'elle ne soit pas dénuée non plus d'un certain masochisme, thème fréquent chez l'auteur.

La maison des feuilles, roman de Daniel Zaniewski
Bien que l'auteur ne dise pas qui (ou quoi) à bien pu édifier l'immense labyrinthe à géométrie variable dont La maison de Navidson n'est qu'une voie d'accès, ses propriétés fantastiques laissent penser qu'il n'a pas été construit par le premier (humain) venu, d'autant qu'il se situe probablement en-dehors de notre espace-temps.
Voir post : http://www.cobaltodyssee.fr/phpBB2/viewtopic.php?t=674


BANDES DESSINEES

Les Cités Obscures, série de bandes dessinés de Schuiten et Peeters.
Cette série où l'architecture joue un rôle important, voir essentiel, ne manque pas de villes-dédales (Brüsel) ou de bâtiments à l'architecture complexe (La Tour dans l'album du même nom, le Centre de cartographie dans La Frontière invisible). Les murailles de Samaris, premier opus de la série, confronte le visiteur Hans avec une ville en trompe-l'oeil capable de modifier la disposition de ses immeubles grâce à une machinerie complexe.

Andreas, auteur
On peut considérer toute l'oeuvre d'Andréas comme un dédale narratif, en particulier dans les séries Arq et Capricorne (mais nous pouvons aussi citer l'album one-shot La caverne du souvenir), conçues comme de grands puzzles où les personnages - surtout dans Arq - évoluent dans un monde étrange sans en connaître les clefs. Car, chez Andréas, tout est déchiffrage, interprétation des signes, assemblage d'éléments disparates à condition d'en connaître l'ordre. Et même si le tracé est peu présent au sens propre, on le trouve tout de même sur le Cube Numérique (in Capricorne). Certains décors de la même série également : le réseau d'égoûts, la bibliothèque d'Astor, les souterrains aux peintures rupestres indiennes, etc...
Enfin, la composition éclatée des planches, où l'on passe rapidement d'un lieu à un autre, d'un événement à un autre. Une chose est sûre : Andréas n'est pas un partisan de la ligne droite.



CINEMA et SERIES TV :

Shining, film de Stanley Kubrick
Le labyrinthe est ici figuré non seulement pas l'immensité de l'hôtel Overlook que ne cesse de parcourir le petit Dany sur son tricycle mais aussi et surtout le véritable labyrinthe de verdure à proximité de l'hôtel (absent du roman de Stephen King) au sein duquel le film trouvera d'ailleurs sa (réfrigérante) conclusion. Le labyrinthe peut aussi être vu comme la métaphore de l'esprit dérangé de Jack Torrance, se perdant peu à peu dans les méandres de sa folie avant de se perdre au sens propre dans le labyrinthe végétal. Evoquons aussi cette jolie scène où Torrance est penché sur une réplique en miniature de ce même labyrinthe, tel un démiurge penché sur sa création, avant qu'une subtile surimpression nous montre sa femme et son fils parcourant les allées du véritable dédale.

Labyrinth, film de Jim Henson.
Un film féérique par le réalisateur de Dark Cristal (avec David Bowie).
Comme je n'ai pas encore eu l'occasion de le voir, j'en resterai là pour le moment.

Cube, film de Vincenzo Natali
Certains labyrinthiques édifiés par l'homme obéissent à des motifs pour le moins sadiques. Dans ce film glaçant à souhait, un groupe d'individus se réveille dans une étrange structure cubique, composée d'un nombre inconnu de pièces toutes semblables qui ne distinguent que par...les pièges mortels qu'elles renferment. Véritable cauchemar, Cube tire son angoisse non seulement du sentiment de désorientation propre à tout labyrinthe mais aussi par une horreur qu'on pourrait qualifier de "mécanique", bien plus inquiétante que n'importe quel prédateur de chair et d'os, ainsi que par l'absence totale d'explication sur la raison d'une telle construction et ceux qui en sont les concepteurs. Elle permet aussi de révéler la personnalité des protagonistes (voir leur santé mentale) et les attirances/antagonismes existants entre eux. Une approche exhaustive des problèmes liées au labyrinthe.

Chapeau Melon et Bottes de Cuir, série tv (saison 4, 1965)
J'aimerais mentionné un épisode atypique et précurseur qui possède d'étonnants points communs avec le Cube de Vincenzo Natali, bien que réalisé voici une trentaine d'années : L'héritage diabolique (The house that Jack built, en V.O.) qui voit Emma Peel prisonnière d'une maison-labyrinthe, véritable souricière entièrement mécanisée dont les pièces (à l'esthétique tout aussi déroutante) se déplacent selon un système savant géré par informatique, et ramenant notre héroïne toujours à son point de départ.
Un épisode épatant d'invention et d'étrangeté qui épingle aussi les dangers de l'automation à outrance, audacieuse pour l'époque.

Le labyrinthe de Pan, film de Guillermo Del Toro
Ici, le dédale est lié au monde féérique et au Faune qui en est à la fois la figure emblématique et le passeur entre deux mondes.

Harry Potter et la coupe de feu, film de Mike Newell.
Troisième et dernière épreuve que doit subir Harry Potter et les autres concurrents pour remporter le tournoi. La coupe se trouve bien évidemment en son centre, dans la plus pure tradition initiatique ou ésotérique du labyrinthe tel qu'on le concevait au Moyen-Age.
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