Humour et SF

Science, fiction et veille sous le ciel étoilé des motifs & thématiques de l'imaginaire : des créatures de légende aux extraterrestres, voyage dans le temps...

Humour et SF

Messagepar Cryptide » Jeudi 03 Juillet 2008, 23h07

Il y a quelques temps, Erwelyn me faisait remarquer qu'elle n'appréciait pas trop l'humour en SF (pour la littérature du moins).
Cette remarque est assez courante chez les amateurs du genre mais cette fois, je me suis mis à y réfléchir un peu plus sérieusement que d'habitude (au moins le temps d'écrire ces lignes).
Bien sûr, il ne s'agit pas de prétendre que l'amateur de SF ou de fantastique est un être sinistre dénué d'humour (les discussions dans les forums prouvent d'ailleurs le contraire) mais plutôt de savoir si le lecteur/spectateur de SF accepte cet humour au sein de son genre de prédilection, de quelle manière et, dans le cas contraire, pourquoi ?

Premiers éléments de réponse possibles :

la SF - et davantage encore le fantastique - fonctionne sur le principe de ce que Tzetan Todorov appelait "la suspension temporaire de l'incrédulité". Bref, ce genre de texte implique que nous croyions, le temps de la lecture, à l'incroyable.
Hors, l'humour implique au contraire l'incrédulité, le scepticisme, la distanciation par rapport à l'objet en question.
Bien sûr, il existe bien, me direz-vous, une SF humoristique (Fredric Brown, Robert Scheckley, Douglas Adams) et satirique (Stanislas Lem). Mais ces romans de SF humoristiques du début à la fin (genre Martiens go home) ne pose pas le même problème au lecteur car, étant averti dès le départ qu'il s'agit d'un texte humoristique, il l'abordera dès le départ comme tel. Et il considérera sans doute ses romans un peu comme une petite succursale annexe, amusante mais qu'il ne faut pas confondre avec les "grands" romans de SF qui, eux, sont autrement sérieux.
A ce propos, avez-vous remarqué que les romans récompensés par le Hugo (et ce depuis sa création) ne sont jamais des romans humoristiques ou même satiriques ? Je trouve ce simple fait assez éloquent.

Le problème est différent lorsqu'il s'agit de considérer l'introduction d'humour dans un roman de SF "sérieux".
Prenons l'exemple de Dan Simmons, par exemple. On connaît tous le talent et les qualités de cet auteur considéré aujourd'hui comme un des plus grands de la SF contemporaine. Mais j'avoue ne pas me souvenir de traces d'humour dans les oeuvres que je connais (Hypérion, L'échiquier du mal, le recueil de nouvelles Le Styx coule à l'envers). Et je ne pense qu'on en trouve non plus dans ses romans fantastiques plus conventionnels (Nuit d'été, Les feux de l'Eden, L'homme nu, etc...) mais je peux me tromper.
Même chose pour Greg Bear, Gregory Benford, etc... bref tous les auteurs qui, et ce n'est sûrement pas un hasard, ont le plus de succès.

A l'inverse, des auteurs comme Stanislas Lem ou James Morrow, qui exploite plutôt une SF mi-sérieuse mi-comique, auront toujours un lectorat beaucoup plus restreint. Bien sûr, l'humour n'est pas le principal critère expliquant cette situation. Il serait sans doute plus pertinent de dire que beaucoup de lecteurs de SF - notamment américains - privilégie le sens of wonder, la grosse saga sidéral et sidérante de mille pages plutôt que le roman concis, ironique et acide. Mais la notion de sérieux y contribue sans doute un peu aussi.

Le problème, d'ailleurs ne date pas d'aujourd'hui, ni même d'hier. Ainsi, dans son petit dictionnaire intitulé "La science-fiction" (j'en ai déjà parlé ici), Denis Guiot écrivait à l'entrée HUMOUR :

La sagesse populaire dépeint volontiers le science-fictionniste comme un être dénué de tout sens du ridicule, aux dépens duquel il est aisé d'exercer son ironie ; et même pour le public le plus averti, il est tentant de penser que toute note humoristique risquerait d'ébranler la crédibilité fragile de la SF. (c'est moi qui souligne).

Il me semble que Guiot avait vu juste. Et si cette crédibilité, comme je le disais au début de ce texte, est liée à la "suspension temporaire d'incrédulité", on peut aussi expliquer ce besoin de sérieux par le fait que les lecteurs de SF ont longtemps été considérés comme des demeurés et la SF comme un genre infantile. Par réaction, le petit monde de la SF (auteurs, éditeurs, lecteurs) auraient été guidés par un besoin de légitimisation (par ailleurs parfaitement compréhensible) mais qui aurait eu pour conséquence une certaine méfiance envers l'humour.

On peut noter, par contre, que l'humour est très présent dans la BD de science-fiction (chez Bilal, Moebius, Mézières, la série Sillage, etc ... en fait à peu près toutes les BD du genre, qui savent mêler le sérieux et l'humour.
La guerre éternelle est un des rares exemples qui me vienne à l'esprit où l'humour est quasi absent et... il se trouve qu'il s'agit justement d'une adaptation de roman.

Pour le fantastique, le problème est un peu différent. Dans ce genre, la "suspension temporaire de l'incrédulité" est encore plus importante, donc l'humour encore moins souhaitable. C'est du moins évident dans les passages les plus effrayants : une note d'humour qui vient mal à propos et l'édifice de la peur s'écroule. Car humour et peur sont antithétique, comme le montrait très bien Umberto Eco dans Le Nom de la Rose (la religion étant basée sur la peur de Dieu, faire de l'humour revient à se moquer de Dieu, donc ne plus en avoir peur, dixit Jorge).
Et pourtant...
Curieusement, est-ce que je me trompe en disant qu'on trouve pourtant davantage d'humour dans les romans fantastique / d'épouvante (ou les films) que dans ceux de SF ? Une contradiction intéressante.
On peut toujours l'expliquer par le fait que l'humour est souvent utilisé pour faire retomber la tension procurée par l'horreur (de fait, l'humour survient toujours après l'événement traumatisant, pas avant). La SF, elle, ne fonctionnant pas sur cette tension en général, elle n'a donc pas besoin d'avoir recours à cette échappatoire. Si il lui arrive d'en faire, c'est pour des raisons bien différentes. Dans le fantastique, l'humour est lié aux émotions. Dans la SF, elle serait plutôt liée aux idées. Elle intervient donc dans des registres très différents.

Maintenant, encore une fois, il ne s'agit pas d'affirmer que les amateurs de SF n'apprécient pas l'humour mais certaines réactions intéressantes de lecteurs m'ont donné envie de vous soumettre ces quelques idées jetées en vrac et qui ne prétendent surtout pas cerner la question mais en esquisser les grandes lignes et tendre une perche.
Bonjour chez vous :wink:
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Messagepar neocobalt » Lundi 30 Novembre 2009, 23h38

L'Humour, un compagnon fidèle
http://generationscience-fiction.hautet ... idele.html

L'alliance de l'humour et de la science-fiction est le sujet d'un article récent de RCW - non pas Robert Charles Wilson, mais Roland C. Wagner. En voici un extrait :
"Seul un genre bien établi, dont la solidité va de pair avec un ensemble de poncifs apparus pendant ses jeunes années, peut offrir un terrain fertile à l’humour. De fait, il faut attendre les années quarante pour que celui-ci prenne une certaine importance éditoriale dans la SF moderne, avant tout par le biais de la parodie, qui culminera pendant la décennie suivante, notamment dans les pages de la revue Galaxy où elle va souvent de pair avec une certaine critique sociale. Cette dernière tendance fait les choux gras des fort rebelles années 60 et 70, en parallèle avec une veine absurde et nonsensique s’éloignant parfois de la SF [...]"
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