Approches psychologiques de la "personne hantée"

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Approches psychologiques de la "personne hantée"

Messagepar nick mondo » Vendredi 31 Mars 2006, 11h09

Approches psychologiques de la "personne hantée"
Mémoire de maîtrise de Psychologie clinique, Faculté de Psychologie de l’Université Louis Pasteur de Strasbourg, 2004-2005.

Par Renaud Evrard

La hantise est une question qui fait son retour en psychologie : depuis les travaux de N. Abraham et M. Torok (L’écorce et le noyau, 1978), les psychologues parlent de fantômes et de revenants frappant le présent de problèmes du passé. On est là dans le vocabulaire d’une certaine théorie intergénérationnelle ou transgénérationnelle tentant d’expliquer des symptômes surprenants. Mais qu’en est-il des personnes qui viennent dire à qui veut l’entendre qu’elles vivent dans une maison hantée, ou qu’un « esprit frappeur » les empêchent de dormir ? Quelles sont les réponses apportées par les psychologues à ces problèmes qui semblent de prime abord relever des psychiatres ou... des exorcistes ?

Ce travail commence par des rencontres avec des personnes ayant fait ou faisant l’expérience de maisons hantées. Cette expérience est une des plus connotées de notre culture, elle semble tirée tout droit d’un film d’horreur ou de science fiction. Pour certains elle serait même « dangereuse ». Plus souvent, la hantise est vue comme une rumeur qui va s’amplifiant, et qui n’aurait aucun fondement réel. Ainsi, la hantise traverse l’humanité depuis le début de l’écriture (et cette pièce de théâtre de Plaute, aujourd’hui perdue, où il est déjà question d’une fausse maison hantée !) jusqu’à ces cas juridiques faisant jurisprudence où on permet à un locataire de résilier son bail pour cause de hantise. Mais l’expérience de hantise, ici et maintenant, existe bel et bien : des étudiantes en psychologie sont venues me parler de leur fantôme !

Mon questionnement a pris plusieurs directions : j’ai cherché à connaître les positions des praticiens confrontés à de tels récits, en particulier dans le cadre de la clinique psychanalytique. Or, je fus surpris de trouver un matériel très important et quelque peu mis de côté. Déjà Freud lui-même s’est exprimé à plusieurs reprises sur la hantise : il en aurait même fait l’expérience ! Lisant dès sa sortie le Traité de Métapsychique de Charles Richet (d’où j’extraie cette notion de « personne hantée »), Freud dira que « tout cela le rendait perplexe jusqu’à lui en faire perdre la tête » (lettre à Eitington, 13 nov. 1922). Sa conclusion, dans un courrier de 1938 au parapsychologue et psychanalyste Nandor Fodor, est toutefois encourageante pour les investigations basées exclusivement sur la psychologie et qui se détournent de « la question de savoir si ces faits sont réels ou falsifiés ». C’est donc l’approche que j’ai empruntée, mais qui est plus compliquée qu’elle n’en a l’air : pour faire comprendre que mon étude ne pouvait ni commencer ni se conclure par un « j’y crois » ou « je n’y crois pas », il m’a fallu batailler ferme sur le plan épistémologique afin de détacher une légitimité pour ce type d’études.

Ce n’est qu’après avoir bien réfléchi aux tenants et aboutissants de ma recherche que j’ai pu m’intéresser aux différents types d’approches de la personne hantée. Tout d’abord, la perspective historique permettait de se rendre compte qu’un important travail avait été réalisé, mêlant de nombreux acteurs de la psychanalyse, mais que ce travail n’a pas trouvé sa place d’une manière générale, si bien que j’ai pu me demander si la « personne hantée » existait bien, ou si c’était moi qui l’hallucinait ! Pourtant, dans la littérature de Maupassant, le personnage central du Horla est décrit comme un « fou lucide », un « halluciné raisonnant », qui reconnaît difficilement que les phénomènes survenant dans son environnement sont paranormaux. Cela n’a rien à voir avec la « hantise du dedans » décrite par les psychologues du courant intergénérationnel, où c’est uniquement le psychologue qui va parler de « fantômes » pour rendre intelligible un symptôme psychopathologique. Dans les cas que j’aborderai, le personnage se retrouve en souffrance, car il fréquente des événements normaux ou anormaux qu’il va attribuer à une intentionnalité extraordinaire. Les personnes rapportant des hantises sont souvent loin de penser que cela a un quelconque rapport avec eux : c’est une hantise « du dehors », c’est la maison qui est hantée !

N’est-ce pas là un trait spécifique ? Il a été très riche pour moi de comparer la crise de hantise aux crises de sorcellerie que constatent les ethnologues dans nos sociétés contemporaines. En supposant qu’une couche de l’inconscient soit collective, on fait largement ressortir tous les enjeux sociaux et individuels de la hantise : car enfin, qu’un individu vienne vous dire qu’il cohabite avec des esprits, n’est-ce pas là un excellent moyen pour se faire reconnaître socialement à une place privilégiée, n’est-ce pas s’attirer un mélange de fascination et de rejet qui permet d’être enfin écouté ?

Mais sitôt qu’on considère les personnes hantées comme des menteurs cherchant à bénéficier de leur condition, on oublie que la hantise est pour ces personnes un véritable « drame existentiel » (selon l’expression d’Ernesto De Martino). Si elles ne font pas toujours appel à des psychologues et à des psychiatres - dont l’action de certains se résume à prescrire la même médication qu’à un schizophrène - elles sont confrontées à un marché de l’occultisme regroupant autant de charlatans que de dangereux individus bien intentionnés. Quelles sont les solutions qui s’offrent à ces personnes lorsqu’elles ressentent le besoin de se faire aider ? J’ai dû aller jusqu’en Allemagne pour trouver une réponse à cette question : il existe à Freiburg un service de consultation parapsychologique, financé par l’Etat, et dirigé par le psychologue-physicien Walter von Lucadou. Là-bas, c’est un européen par jour qui appelle parce qu’il se sent hanté ; et une fois toutes les trois semaines, les phénomènes revendiqués par le consultant sont tout aussi spectaculaires que dans la manifestation de poltergeist à Rosenheim, en 1968, dont les médias de l’époque s’étaient largement fait l’écho. Le témoignage de Lucadou, et des autres psychologues allemands qui proposent une offre de consultation spécifique, semble indiquer qu’un énorme travail reste à faire dans ce champ.

Ce n’est que pour esquisser ce travail que je propose également d’analyser mes propres entretiens, mes propres réflexions théoriques, ainsi que ceux de la psychanalyste Djohar Si Ahmed dont la thèse « Parapsychologie et psychanalyse », sous la direction de Didier Anzieu, a été pour moi la première et la plus riche des voies d’accès. Mon travail n’a rien de complet, mais j’espère qu’il constituera une bonne introduction à l’écoute des personnes qui se disent hantées.

pour voir le memoire en entier:
http://www.metapsychique.org/IMG/pdf/MemoirePDF.pdf
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